Quand l’auto-entreprise sert de masque au salariat
Le statut d’auto-entrepreneur a été institué par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, afin de répondre à un réel besoin économique en facilitant la création d’entreprise. L’auto-entrepreneur est placé sous le régime d’un travailleur indépendant et s’accompagne d’une présomption légale de non salariat (C.trav., art.L.8221-6-1).
Contexte d’un employeur ayant eu recours à de « faux » auto-entrepreneurs
Il ne s’agit toutefois que d’une présomption simple : l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque l’auto-entrepreneur est en réalité placé « dans un lien de subordination juridique permanente » à l’égard du donneur d’ordre. Le lien de subordination est inhérent à tout contrat de travail et désigne le fait, pour un salarié, de devoir se conformer aux instructions de son employeur et de réaliser le travail confié par ce dernier.
L’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 7 juillet 2016 est une illustration de la requalification de la prestation de service de l’auto-entrepreneur en contrat de travail lorsque est caractérisé un lien de subordination juridique permanent.
Avant d’analyser les faits de l’arrêt, il convient d’appréhender la notion d’auto-entrepreneur. Il s’agit d’une personne physique exerçant une activité commerciale à titre individuel. À la différence du salarié, il exerce son activité en toute indépendance et sans lien de subordination avec son donneur d’ordre : il ne possède pas de contrat de travail. Ainsi l’entreprise employant des auto-entrepreneurs n’a pas à assumer les cotisations et charges patronales.
En l’espèce, les deux parties au litige étaient une entreprise, ayant pour activité la formation et l’Urssaf, c’est-à-dire l’organisme en charge de collecter les cotisations et contributions sociales des entreprises dans le but d’assurer la gestion de la trésorerie de la sécurité sociale. L’entreprise avait fait appel à des formateurs inscrits comme auto-entrepreneurs. À la suite d’un redressement opéré par l’URSSAF, le montant des sommes qui leur avaient été versées est réintégré dans l’assiette des cotisations de l’employeur, ce que ce dernier conteste. Selon lui, la présomption de non-salariat s’oppose à cette réintégration.
L’arbitrage de la Cour de Cassation et le redressement des cotisations de l’employeur
Il s’agissait alors de savoir si ces prestataires, a priori indépendants, seront considérés par le juge, comme placés sous la subordination juridique permanente de leur donneur d’ordre. La Cour de Cassation confirme le renversement de la présomption de non-salariat de ces auto-entrepreneurs en caractérisant l’existence d’un lien de subordination entre ces travailleurs et l’employeur:
“La présomption légale de non salariat, qui bénéficie aux personnes sous le statut d’auto-entrepreneur, peut être détruite s’il est établi qu’elles fournissent directement ou par personne interposée des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci”.
Pour qualifier ce lien de subordination juridique permanente, le juge a recours à un faisceau d’indices permettant de déterminer la réalité des conditions de travail de ces « auto-entrepreneurs ». Cette situation est donc appréciée au cas par cas, et la requalification en contrat de travail est d’autant plus justifiée lorsqu’une intention frauduleuse de la part de la société est caractérisée pour éviter le paiement de cotisations sociales.
C’est le cas dans cette affaire où le juge relève notamment que :
– 40% des formateurs étaient salariés de la société avant de s’affilier en auto-entrepreneur ;
– ils étaient liés par une clause de non-concurrence ;
– ils exerçaient leur fonction dans les locaux de la société ;
– le programme pédagogique était fixé par la société, les enseignants n’ayant aucune liberté pour concevoir leurs cours.
Au vu de cette accumulation d’indices du lien de subordination, il était logique de conclure à son existence. La Cour régulatrice valide donc la position de la cour d’appel conduisant à la réintégration des sommes versées aux auto-entrepreneurs dans l’assiette de cotisations de l’employeur. Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de Cassation relative à la requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail dès lors qu’existe un lien de subordination. Elle rappelle les risques pris par une entreprise qui souhaite s’adjoindre les services d’auto-entrepreneurs.
La Cour de cassation exerce un contrôle strict sur le recours à ces travailleurs afin de prévenir les tentatives de fraude et les recours abusifs, pour se soustraire au coût social d’un salarié. Ainsi un système institutionnalisé de faux auto-entrepreneurs peut exposer l’entreprise à de lourds redressements URSSAF. D’autres jurisprudences risquent de survenir sur le même sujet au vu des enjeux financiers pour les sociétés.
Article initialement paru dans l’ancien blog Arnaud Franel Editions : la parole à nos auteurs.
Article rédigé par Léna Le Guyader et Vincent Alazard sous la direction de Francis Kessler
Ouvrages de Francis Kessler aux éditions Arnaud Franel :
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