Un chantier pour l’avenir : le logement après les confinements
Parmi les nombreux constats qui auront pu être dégagés dans nombre de secteurs, pendant et après la période que nous venons de vivre, celui qui concerne la taille du logement est particulièrement frappant : celle-ci n’a en effet pratiquement pas changé depuis cinquante ans et a même eu tendance à se réduire puisque l’on construit aujourd’hui des trois-pièces dont la surface fait souvent moins de 60 m²… Mais comment vivre, dormir, éduquer ses enfants (se confiner…) dans un tel logement, prévu pour trois ou quatre personnes ?
Les inégalités de logement
Dans la plupart des pays d’Europe, la dimension des logements est nettement plus grande, 75 m² pour un trois-pièces est une moyenne (pour loger quatre personnes on considère qu’il faut trois chambres, c’est-à-dire quatre pièces).
La nécessité impérieuse de certaines évolutions (voire « révolutions ») est ainsi devenue flagrante au regard des nombreuses contraintes expérimentées physiquement et moralement par nos contemporains ces dernières semaines.
C’est, au-delà, un enjeu social et sociétal puisqu’il a été observé que 10 m² séparent, en moyenne, la surface de logement dont disposent les individus appartenant aux ménages les mieux lotis (couple de cadres) de ceux appartenant aux ménages les moins bien lotis (ouvrier en couple avec une employée, par exemple). Les premiers disposant de 46 m² par personne en moyenne, contre 35 m² pour les seconds.
On le savait bien et on a malheureusement pu le vérifier ces dernières semaines, les grandes métropoles sont source d’inégalités jusqu’à générer des écarts d’espérance de vie dans une même ville selon le code postal attribué. Et l’on connaît le tribut élevé payé par les quartiers populaires où les conditions d’habitat sont les plus dégradées : en France, le niveau élevé de contamination en Seine Saint Denis trouve sa source dans la structure de l’habitat, soit 18 m²/personne pour ¼ des ménages contre 25 m² à Paris !
L’habitat : un mode de vie
Mais redisons également, ici, que dès avant d’être confinés, nos contemporains ont fait de l’habitat – sujet qui devrait être majoritairement tourné vers le rationnel (ce qui paraît logique s’agissant d’une matière le plus souvent gouvernée par la contrainte personnelle, spatiale ou financière) – un enjeu de plus en plus tourné vers l’individu et l’émotionnel : les Français, en effet, ne cherchent déjà plus à acheter seulement un bien immobilier, c’est aussi et surtout un mode de vie et même, plus largement, un modèle de société qui correspondra à leurs convictions propres qu’ils souhaitent acquérir à travers un appartement ou une maison.
Les grands acteurs du marché l’ont déjà bien compris et mettent en avant dans leur communication un vocabulaire ciblé : ainsi de Nexity qui dans une campagne pour un programme « étudiant » se dit « facilitateur » plutôt qu’« exploitant » et parle « proximité », « connecté », « bien-être », « ville à vivre », « culture du vivre ensemble »… !
De même, de nombreux promoteurs ont intégré le constat que la production de logements « ultra-standardisés » génère de la frustration chez des acquéreurs qui sont de plus en plus nombreux à souhaiter personnaliser leur logement : « un tiers de nos clients souhaitent participer à l’élaboration des plans » précisait, bien avant le « confinement », le patron de l’immobilier résidentiel d’un grand constructeur allant jusqu’à proposer quinze plans différents par appartement ! Il était temps ! Car si de nombreux secteurs ont fait des progrès parfois spectaculaires ces dernières décennies (l’automobile, le médical, les services…) celui de l’habitat avait connu peu d’évolutions et donc peu de changements.
Quelle évolution pour l’habitat ?
Or, si le logement était prévu pour être le lieu sanctuarisé de notre vie privée, il est devenu par la force des choses (et sera peut-être de plus en plus naturellement) celui de notre vie professionnelle : le « télétravail », expérimenté à une large échelle pendant le confinement, devrait en effet s’ancrer dans les habitudes des Français (cf. Peugeot), avec ou sans leur assentiment.
Il nous faudra donc associer notre besoin de mobilité avec notre désir de retrouver le local, de le comprendre pour mieux le concevoir et ainsi le mettre en œuvre pour redonner un sens à nos vies.
Cela passera nécessairement par :
– Une décentralisation appuyée sur un rééquilibrage renforcé des bassins d’emploi,
– Une réflexion encore affirmée concernant la structure même des lieux de vie,
– Un contrôle systématique, à chaque renouvellement d’un bail, de la qualité des logements mis en location dans le parc privé,
– L’accroissement quantitatif et qualitatif, dans les zones tendues, d’un parc social plus protecteur juridiquement et financièrement,
– La prise en compte toujours plus grande des impératifs écologiques…
La liste est loin d’être exhaustive car le monde d’après, pour le logement, c’est maintenant.
Par Laurent Cirelli et Emmanuel Versini
Ouvrage de Laurent Cirelli et d’Emmanuel Versini aux éditions Arnaud Franel :
ID Reflex’ Agent immobilier
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