Le Crypto-Yuan, une monnaie nouvelle en voie de gestation

Le Crypto-Yuan, une monnaie nouvelle en voie de gestation

L’année 2020 sera-t-elle l’année des monnaies cryptées souveraines (les CBDC, pour « central bank digital currency ») ? Il y a fort à parier que 2020 sera une année marquante pour de toutes autres raisons que les monnaies digitales souveraines. Mais il est officiel, patent et proclamé que la Chine a lancé le processus qui devrait la conduire vers la mise en place d’un « crypto-yuan » ou « renmibi digital ». Elle serait ainsi la première au monde à le faire. Elle aurait un grand coup d’avance sur les Etats-Unis et des kilomètres d’avance sur les pays européens. 

De premiers tests

Des fuites plus ou moins organisées laissent à penser que des tests ont commencé dans quelques villes (parmi elles on cite Shenzhen et Suzhou). On annonce aussi que des fonctionnaires seront en partie payés sous la forme numérique. Ils seront dotés de wallets par les banques participant à ces tests afin de réceptionner les renmibi digitaux leur revenant. Certaines grandes chaînes de consommation sont associées à l’expérience : la réussite d’une opération de ce genre suppose que les commerçants y adhèrent.

L’état d’avancement de ces tests est tel que, prétendant mettre en valeur l’absolue nécessité de soutenir le lancement de la Libra, David Marcus, son responsable, déclarait devant le Congrès américain que cette monnaie cryptée était le meilleur moyen de faire pièce aux ambitions chinoises !

Pour autant, 2020 ne sera pas l’année de la mise en œuvre de la monnaie digitale souveraine chinoise, ne serait-ce que parce qu’un projet de ce genre ne peut tolérer le moindre défaut technique, économique et financier. En matière de monnaie et de banque, c’est une banalité de dire que la confiance se conquiert grâce à des années de travail et se perd en quelques jours de ratage, trucage ou incompétence ! Cela a certainement inspiré le gouverneur de la banque centrale chinoise qui insistait, il y a peu, sur la nécessité d’avancer prudemment et non dans l’urgence.

Les motifs de l’ambition de la Chine

Mais au fait, pourquoi cette ambition ? Pourquoi la Chine se veut-elle la première économie dotée d’un système monétaire appuyée sur des technologies si disruptives ? Et que faut-il penser de ses avancées dans les domaines qui deviennent fameux de la « blockchain » et des monnaies cryptées ? Le crypto-yuan est-il là comme une version « sinisée » du bitcoin ?

Au début de cette ambition, il y a la nécessité sur le plan économique intérieur de faire se diffuser tous les facteurs et les bénéfices de la croissance chinoise dans toutes les couches de la population, dans toutes les zones territoriales chinoises. Or, qui dit participer à la croissance dit « consommation ». Les Chinois l’ont parfaitement intégré dans leur grande majorité qui ont fait exploser les paiements en ligne et les sociétés spécialisées dans ces paiements. Toutefois, il y a là deux inconvénients : les prouesses technologiques de la population n’empêchent pas que tous les Chinois n’ont pas accès à ces facilités. Mais surtout, les paiements en ligne confortent la suprématie de la monnaie scripturale, celle des banques et non la monnaie fiduciaire dite banque centrale.

Enfin, il demeure qu’une part notable des paiements en Chine est réalisée sous la forme de « billets de banque » avec ce que cela comporte d’archaïsme, de risque d’activités occultes et de financements trafics en tous genres.

Une monnaie qui n’aura rien à voir avec les « bitcoins » et autres « Altmoneys »

Une monnaie souveraine digitale qui se substituerait aux billets, qui parachèverait la dématérialisation des moyens de paiement suivrait-elle l’exemple et même le mode de fonctionnement du bitcoin ? C’est très douteux pour de nombreuses raisons,  l’hostilité voire les interdictions que les autorités monétaires chinoises ont opposé au bitcoin ne sont pas les moindres.

La question « technologique » derrière cette opposition tient, d’une part, au fait évident qu’une monnaie digitale souveraine ne peut pas se prétendre décentralisée comme le protocole bitcoin. Celui-ci s’instaure à l’encontre des tiers de confiance traditionnels de l’univers financier et monétaire que sont les banques, qu’elles soient centrales ou non, et tous les instituts financiers. Une monnaie digitale dite souveraine est centralisée par construction. Cela veut dire que tous les constituants des protocoles sur lesquels elle fonctionnera seront sous le contrôle des autorités autrefois qualifiées de tiers de confiance.

La blockchain ne s’imposera pas ?

Sur le plan technologique, cela explique que l’utilisation d’une blockchain à l’instar de bitcoin et du projet de la Libra ne s’impose pas, même si la Banque centrale chinoise juge que la blockchain serait très utile dans le domaine du financement du commerce international et de la gestion des valeurs mobilières. Les « blockchains » fonctionnent avec des systèmes de preuves de validité et de pertinence. Leurs caractéristiques sont en contradiction avec la contrainte de rapidité qui s’impose à l’exécution des milliards de transactions quotidiennes dans un pays qui compte plus d’un milliard de consommateurs. Très simplement, faisait remarquer un commentateur, « les transferts numériques peuvent même avoir lieu sans Internet, il suffit simplement que deux téléphones soient connectés ».

Le crypto-yuan est un projet stratégique

Il reste, dans cette très brève présentation du crypto-yuan, un point qui ressort de la stratégie politique et économique. La création de cette monnaie digitale souveraine participe à la réalisation du grand projet chinois qu’est la Route de la Soie. La Chine supporte de moins en moins bien la domination américaine sur le système des paiements internationaux et les conséquences qui s’ensuivent. Les blocus monétaires complètent, en effet, la politique de blocus de l’Administration US.

Le projet de monnaie digitale souveraine chinoise est donc multi-facettes. Il tend à moderniser les moyens de paiement, restaurer le pouvoir monétaire de l’Etat, lancer un processus de compensation internationale pour contrer le Dollar.

Il s’insère dans les gigantesques projets qui, tous, ont valeur stratégique.

Par Pascal Ordonneau

Photo de M. Pascal Ordonneau

 

 

 

 

En savoir plus sur les crypto-monnaies : consultez les précédents articles de P. Ordonneau

 

Pascal Ordonneau est l’auteur du livre sur le Crypto-Yuan, paru aux Editions « La Route de la Soie » paru en mai 2020.

En tant que Secrétaire Général de L’Institut de l’Iconomie, il a participé à deux rapports

-L’Iconomie et l’Intelligence Artificielle, paru aux Editions de l’Institut de l’Iconomie, sous la direction de Pierre Blanc, Jean-Pierre Corniou, Michel Volle, Hugues Chevalier et Vincent Lorphelin. 2018

-La monnaie de Facebook, La Libra, participation à l’étude menée par L’Institut de 2ème trim 2019

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