Questionnements sur la donation de la nue-propriété

Questionnements sur la donation de la nue-propriété

À une époque où une partie grandissante de la population française va devoir organiser son patrimoine, et ce afin d’optimiser les moyens de financement des dépenses liées à l’après-retraite et à la dépendance, les dispositions du nouvel article L64 A du Livre des procédures fiscales, modifiées par l’article 109 V de la loi N° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, ont généré une certaine insécurité juridique, principalement au niveau de l’interprétation de la notion d’abus de droit.

Rappelons le contexte dans lequel interviennent ces changements.

Actuellement, pour atteindre ces objectifs, la technique civile préconise de procéder par des libéralités prenant la forme des donations de la nue-propriété, encore appelées donations avec réserve d’usufruit. Deux avantages majeurs sont à mettre au crédit de cette opération de démembrement.

Premièrement, et par voie de rétention, le donateur transmet de son vivant la nue-propriété d’un bien immobilier, mais conserve l’usufruit dudit logement. De cette manière, il garde l’usage du bien et le droit de le mettre en location pour percevoir des revenus.

Deuxièmement, et d’un point de vue fiscal, seule la nue-propriété est imposée aux droits de donation, à condition que le donateur ne décède pas dans les 3 mois qui suivent (article 751 du Code général des impôts). De plus, l’abattement accordé dépend de l’âge du donateur. Pour ces opérations, les valeurs fiscales sont déterminées en fonction de l’âge de l’usufruitier (article 669 du Code général des impôts).

Age de l’usufruitier
Valeur de l’usufruit
Valeur de la nue-propriété
Moins de 21 ans 90 % 10 %
Moins de 31 ans 80 % 20 %
Moins de 41 ans 70 % 30 %
Moins de 51 ans 60 % 40 %
Moins de 61 ans 50 % 50 %
Moins de 71 ans 40 % 60 %
Moins de 81 ans 30 % 70 %
Moins de 91 ans 20 % 80 %
Plus de 91 ans révolus 10 % 90 %

Au moment du décès du donateur en nue-propriété, le nu-propriétaire voit la pleine propriété du bien se consolider en franchise d’impôt. Pour lui, aucun droit ne sera à payer sur la valeur de l’usufruit.

Utile, cette opération n’est pas pour autant dépourvue de risques pour les ménages.

L’encadrement des opérations d’optimisation fiscale

En matière de contrôle des libéralités, l’administration fiscale s’adosse à l’article L64 du Livre des procédures fiscales. Venant préciser les limites de ces opérations, ce texte constitue la règle applicable en matière de requalification de l’acte incriminé. Au moyen de l’abus de droit, l’administration fiscale vise les actes suivants :

– Ceux qui présentent un caractère fictif ;

– Ceux qui ne cherchent qu’à éluder un impôt ou à diminuer les charges fiscales normalement dues si lesdits actes n’avaient pas été passés, en « recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ».

Cette procédure permet aux autorités administratives de rejeter, comme ne lui étant pas opposables, tous les actes qu’elles considèrent comme constitutifs d’un abus de droit, et de restituer ainsi à ces derniers, leur véritable caractère (et d’en tirer toutes les conséquences fiscales). Si tel est le cas, le nu-propriétaire est personnellement redevable des droits de donation sur la valeur totale de ces biens au tarif fixé selon son degré de parenté avec le donateur et non plus sur la seule valeur de la nue-propriété. De plus, la rectification peut être assortie d’une majoration de 80% de l’impôt éludé, selon certains cas.

Les interrogations suscitées par le nouvel article L64 A du LPF

Alors que le régime de l’actuel article L64 du Livre des procédures fiscales évoque un caractère « exclusif » du mobile fiscal de l’opération de donation de la nue-propriété, un amendement initié par la député Bénédicte Peyrol, transcrit à l’article L64 A du Livre des procédures fiscales, a porté cette interprétation du but fiscal à un caractère « principal ».

Loin d’être anodin, ce changement de niveau de qualification a pour effet de permettre à l’administration fiscale de requalifier plus « facilement » ces opérations, pour peu que cette dernière fasse passer au second plan l’intérêt de transmettre dans de bonnes conditions et le besoin d’adapter les actifs aux besoins de financement du vieillissement, tout cela au profit du but purement fiscal devenu la motivation « principale ».

Pis, la loi de finances pour 2019 a indiqué que l’article L64 A du Livre des procédures fiscales entrera en vigueur au 1er janvier 2021, avec des sanctions étendues aux donations de la nue-propriété réalisées depuis le 1er janvier 2020.

La mise au point de l’administration fiscale du 19 janvier 2019

Suite à de nombreuses réserves émises par les praticiens, une question ministérielle posée par Claude Malhuret (N°8407 – JO Sénat du 10/01/2019) a été formulée, au motif de connaitre l’interprétation que fait l’administration fiscale « de l’acte principalement motivé par des considérations fiscales ».

En réponse, un communiqué du Ministère de l’action et des comptes publics (N°568) en date du 19 janvier 2019 a précisé que « la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ».

Pas sûr qu’une telle réponse, en la forme d’un communiqué presse, puisse restaurer la confiance des ménages envers une libéralité que tout le monde s’accorde à reconnaitre une grande utilité sociale et économique.

Par Tran Hoang Dieu et Clément Joly (Chargé d’enseignement IFPASS)

Photo de M. Tran Hoang Dieu

Ouvrages de Tran Hoang Dieu aux éditions Arnaud Franel :
Le Patrimoine privé : structures et transmission
ID Reflex’ Prévoyance collective
ID Reflex’ Solvabilité II

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Hoang Dieu Tran
Titulaire d’un doctorat en droit privé (Université Panthéon-Assas Paris II) et lauréat du Prix de thèse de l’Université, actuellement Responsable pédagogique (IFPASS) et chargé d’enseignement à l’Ecole Nationale d’Assurance (ENASS), l’auteur a exercé au sein du groupe Le Conservateur et MACIF.

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