Opérations patrimoniales : le Code civil plus fort que le Code des impôts ? (partie 2/2)
Nous avons vu dans un précédent billet comment la Cour de cassation avait fait primer le droit civil sur le droit fiscal en matière de prêts familiaux.
Voyons désormais l’analyse du Conseil d’État au regard des opérations de donation-cession de titres, avec mise en place d’un quasi-usufruit sur le produit de cession.
La donation-cession : bref rappel des principes
Pour mémoire, la « donation-cession » de titres consiste à donner des actifs préalablement à la cession de ces derniers par le(s) donataire(s). Compte tenu des règles actuelles de calcul des plus-values sur valeurs mobilières, cette donation permet de « purger » la plus-value sur les actifs donnés.
Lorsque la nue-propriété des titres est transmise (donation-cession « en démembrement »), seule la plus-value de cession afférente à la nue-propriété donnée est purgée (la plus-value relative à l’usufruit conservé par le donateur demeurant imposable).
En l’absence de répartition du prix de vente, la plus-value est alors imposable soit au nom du nu-propriétaire si le produit de cession est remployé dans de nouveaux actifs démembrés, soit au nom de l’usufruitier si le prix lui est attribué dans le cadre d’un quasi-usufruit.
Quel est l’intérêt d’une donation-cession avec clause de quasi-usufruit ?
Outre un changement du redevable de l’impôt, la mise en place d’un quasi-usufruit procure deux avantages complémentaires par rapport au remploi dans d’autres actifs démembrés :
- juridiquement, le donateur quasi-usufruitier devient alors seul propriétaire du produit de cession et peut le gérer librement (le quasi-nu-propriétaire bénéficiant alors d’une créance de restitution sur la succession du donateur ; article 587 Code civil) ;
- fiscalement, la plus-value afférente à l’usufruit des titres cédés peut être réduite d’abattements avantageux pour durée de détention. En effet, le point de départ de ces abattements est alors décompté à partir de la date d’acquisition des titres par le donateur-quasi-usufruitier, ce qui n’est pas le cas si le produit de cession est remployé dans d’autres actifs démembrés (BOFiP, BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20-20150702, n° 40).
Grande est alors la tentation pour un contribuable de donner la nue-propriété de ses titres pour purger la plus-value afférente à ce droit, tout en bénéficiant d’abattements pour durée de détention et en récupérant l’intégralité du produit de cession par le biais d’une convention de quasi-usufruit.
Une jurisprudence favorable ?
Si les opérations de donation-cession sont depuis longtemps validées par la jurisprudence moyennant le respect d’un certain nombre de précautions (notamment eu égard à la réalité de la donation), l’utilisation d’un quasi-usufruit sur le produit de cession n’a que très rarement été analysé par le juge de l’impôt*.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État (CE, 9ème, 10 février 2017, 387960), des contribuables avaient fait donation de la nue-propriété de titres à leurs trois enfants. Par la suite, ces titres avaient été cédés conjointement en pleine propriété à un tiers. Conformément aux dispositions de l’acte de donation, une partie du produit de cession a été remployé en l’acquisition d’autres actifs démembrés, le surplus ayant été attribué aux donateurs sous la forme d’un quasi-usufruit (ces derniers ayant été dispensés de fournir caution).
L’administration fiscale a remis en cause la donation en estimant, notamment, que la convention de quasi-usufruit non-assortie de garantie démontrait la réappropriation et donc l’absence d’intention libérale des donateurs.
Dans cette décision très attendue, le Conseil d’État devait répondre à la question suivante : devons-nous considérer qu’une donation de nue-propriété de titres suivie d’une cession avec quasi-usufruit est une réappropriation des fonds constitutive d’un abus de droit ? La non-constitution de garantie a-t-telle un impact sur cette réflexion ?
Le Conseil d’État reprend en premier lieu sa jurisprudence en matière de donation-cession : une telle opération ne constitue pas en soi un abus de droit dans la mesure où une donation entraîne des effets autres que fiscaux. Il n’en est pas de même, bien évidemment, si la donation est fictive (fictivité caractérisée notamment par l’absence d’intention libérale et de dépouillement immédiat et irrévocable au sens de l’article 894 du Code civil).
En second lieu, le Conseil rappelle, par une application combinée des articles 587 et 601 du Code civil, que des clauses de quasi-usufruit et de dispense de caution stipulées dans un acte de donation sont licites (le quasi-usufruitier demeurant de toute manière redevable d’une dette de restitution) : l’intention libérale ne peut pas être remise en cause du fait de conventions valables au regard du droit civil.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’État considère que l’abus de droit n’est pas caractérisé dans cette affaire.
En conclusion : « le civil tient le fiscal en l’état », un autre adage à retenir !
* Notons que le Conseil d’État avait, dans une affaire rendue en octobre 2015, jugé fictive une donation-cession avec instauration d’un quasi-usufruit, notamment parce que les parties avaient instauré ce quasi-usufruit sur le produit de cession après la vente des titres donnés, alors même que l’acte de donation prévoyait expressément un report du démembrement.
Ce billet ne saurait s’assimiler ou se substituer à une consultation juridique. Il ne saurait remplacer un entretien personnalisé avec un conseil spécialisé.
Par Julien Dupré
Ouvrages de Julien Dupré aux éditions Arnaud Franel :
Le PEA et le PEA-PME